Les temps incertains
Le monde est en tourment :
c'est partout la saison des basses eaux.
Au cœur des continents
la terre est sèche des eaux qui l'ont abandonnée,
les eaux si basses qu'on ne voit plus l'eau
des rivières enfouies au tréfonds de la terre,
des ruisseaux enfuis dès le seuil de la source,
des étangs craquelés exhibant leurs entrailles.
Aux confins des terres
à marée basse le port est vide,
vide de ressac, de clapotis
vide de l'écume caressant les quais,
vide des voiles oubliées par la brise du ponant,
vide des criailleries des mouettes affamées,
vide de couleurs, vide de mouvements,
vide de sens.
à marée haute le port est plein,
plein de coques qui attendent, en vain, le vent,
plein de mâts tristes, sans voiles, tels des arbres morts,
plein de cordes grisâtres du manque de vagues,
plein d'odeurs marines rancies, confinées, saumâtres,
plein de vase qui s'étale sans marées qui nettoient
plein d'absence.
Et la peine qui s'étale, qui grandit, qui déborde,
la peine entassée qu'on ne peut supprimer,
la peine des absences qui durent, se concentrent,
la peine du silence, si lourd qu'il s'enfonce en nous
puis se noie dans la mer qui l'avale à jamais,
et, à son tour, le silence se tait.
Reviendra le gros temps,forcément :
les hautes eaux manquent aux hommes.
Crêtes et creux à l'assaut des falaises,
renversent les langueurs morbides de ces jours sans ride,
bousculent le continent confiné.
Face à l'ennemi invisible
les vieilles certitudes basculent.
L'univers est à la peine.
Alors les ouragans, les tempêtes
offrent aux hommes des joutes salvatrices,
dangereuses certes mais révélatrices.
L'embrun réveille les humains,
s'ils y croient, ils gagneront demain
Jean-Michel Pierret
31 Mars 2020